"Je veux bien meubler mais je sais pas quoi dire"

Publié le 8 Février 2010

 

Que dire pendant 1h30 ?


            C'est l'appréhension qui guette tout nouveau génépiste s'apprêtant à entamer ses interventions. Comment combler ce vide temporel par la parole ? Que raconter à des gens dont les préoccupations sont si différentes des nôtres ? Quand on songe à ses proches qu'on ne voit jamais, à l'odeur de l'herbe qu'on ne peut plus respirer, à ce procès dont le verdict se fait attendre ou à cette demande de permission qu'on craint négative ? Comment les intéresser ? Les faire participer ? Jusqu'à quel degré de complexité de contenu peut-on aller sans les perdre avec des détails futiles ?52---16-Interventions.jpg

            C'est vrai qu'avant la première intervention, les questions se bousculent au portillon, à l'image, je pense, d'un professeur qui va découvrir sa classe de 5ème pour un baptême pédagogique. Alors, pour conjurer le stress, on prépare, on lit, on cherche des documents, des supports, prévoit un « exercice » même si ce mot est bien souvent déguisé sous un terme plus neutre. Le but est d'intéresser mais aussi de marquer les esprits, en souhaitant que quelque chose reste à l'issue de la séance.

            Pour le choix du thème, on se dit finalement qu'il suffit d'en choisir un qui nous plaît, que l'on maîtrise et que les détenus, pas si différents ou plus vieux que nous, trouveront eux aussi leur content dans l'intervention. Et ça marche ! Grandes civilisations, Europe, réforme de l'orthographe, on peut tout aborder ! Il suffit simplement d'être passionné par son sujet !

 

            Quant à meubler le périmètre de l'horloge, on se rend vite compte que le temps manque plus qu'il n'abonde. Entre le passage des divers portes, le rassemblement du matériel, l'arrivée des détenus, l'appel et la présentation de la séance, cela va toujours vite trop vite. Et nous de nous retrouver à étaler sur deux séances une thématique dont on pensait qu'elle ennuyerait tout le monde...

            Et puis très vite aussi, le dialogue se noue, les langues se dénouent, chacun donne son avis, rapporte ce qu'il a vu à la télé, lu dans les journaux, vécu dans sa vie. A la naissance de l'échange, c'est toujours un immense sourire qui illumine nos visages. Cette communication là, c'est un moment d'humanité, c'est parvenir à passer hors les murs par l'esprit. Et à retrouver un véritable rapport humain. Ca paraît prétentieux comme ça d'affirmer que quelques minutes de discussion enjouée valent leur pesant d'or. Après tout, les codétenus ont le temps de papoter entre eux ou avec les surveillants, le courrier et les parloirs existent. Mais pour une fois, on parle d'Homme libre à Homme libre au sens où la pensée s'exerce librement. Car c'est finalement ça une intervention Génépi en prison, un espace de liberté.

Rédigé par Mathilde

Publié dans #Interventions en détention

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