Une parole prisonnière

Publié le 8 Juillet 2013

Le GENEPI a pris position sur l'expression collective et individuelle des personnes incarcérées en 2010.

 

Prise de position consécutive aux débats du thème d’Assises (Bordeaux 2010) présenté par les groupes de Fresnes, Villepinte et La Santé et adoptée lors de l'Assemblée Générale du 12 juin 2010.


Dans la continuité de la prise de position de 2008 sur l’expression collective des personnes incarcérées en faveur d’une « consécration législative d’un droit à l’expression collective », le GENEPI réaffirme l’importance qu’il accorde à la possibilité d’une parole collective et individuelle des personnes incarcérées, et précise ses positions.

  • Préliminaire – Le constat d’un mutisme contraint


Le GENEPI dresse le constat d’une impossibilité massive d’une prise de parole des personnes incarcérées tant en détention que sur l’espace public. Sur l’espace public, cette inaudibilité tient à la fois à l’origine sociale défavorisée de la population carcérale, et au stigmate carcéral qui disqualifie a priori l’expression d’anciens détenus. Le GENEPI ne peut manquer que regretter que, à l’exception remarquable de certains anciens détenus médiatiques, d’origine sociale plus aisée ou innocentés, la parole des personnes incarcérées, ou anciennement incarcérées, ne soit jamais prise en compte dans les débats sur les questions pénales et pénitentiaires.

A l’intérieur des prisons, l’expression des personnes incarcérées est strictement encadrée par des dispositions légales. La correspondance écrite est contrôlée et peut être retenue par l’administration pénitentiaire si elle estime que les courriers portent atteinte à la sécurité des personnes ou de l’établissement ainsi qu’à la réinsertion de la personne incarcérée. Les correspondances téléphoniques sont également contrôlées, et peuvent être interdites aux prévenus. La diffusion d’images peut être interdite par l’administration pénitentiaire lorsqu’elle l’estime « nécessaire pour la sauvegarde de l’ordre public, la prévention des infractions ou la protection des victimes et des personnes incarcérées » (Art.40 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009). Enfin, le droit de vote, bien que reconnu aux personnes incarcérées en l’absence de disposition expresse de la condamnation, ne peut être exercé en prison qu’avec d’immenses difficultés. Il n’y a pas de bureau de vote en détention, et les personnes incarcérées doivent obtenir une permission de sortie ou faire une procuration en faveur d’une personne inscrite sur la même liste électorale qu’elles. Lors de la dernière élection présidentielle, seuls 4% de la population pénale ont pris part au vote. Le GENEPI demande que chaque établissement poursuive et amplifie sensiblement ses efforts pour permettre à l’ensemble des personnes incarcérées qui le souhaitent d’exercer leur droit de vote. Pour cela, les personnes incarcérées doivent également avoir accès à des sources suffisantes d’information (journaux, programmes des candidats, …).

Enfin, toute forme d’expression collective non sollicitée par le personnel pénitentiaire est interdite en détention, et constitue une faute disciplinaire passible de sanctions. Seule une parole individuelle, encadrée par les murs du cabinet du médecin, du parloir (famille ou avocat) ou du bureau du gradé, est permise. Cette individualisation et cette psychologisation de la parole va dans le sens de sa prise en compte pour observer et surveiller la personne incarcérée, mais en aucun cas dans celui de sa considération comme digne d’être écoutée pour elle-même. L’expression collective semble donc bien être une condition nécessaire à l’expression d’une parole des personnes incarcérées. Le GENEPI affirme la nécessité de considérer l’expression des personnes incarcérées comme une parole citoyenne, c'est-à-dire comme une parole légitime à porter des revendications et susceptible de s’exprimer collectivement. A ce titre, le GENEPI rappelle l’expression de la Cour européenne des droits de l’homme, qui considère la liberté d’expression comme « l’un des fondements essentiels de toute société démocratique et vaut même pour les idées qui heurtent, choquent ou inquiètent » (CEDH, Handyside c/ Royaume Unis, 7 décembre 1976).

  • Au GENEPI – Quelle place pour l’expression des personnes incarcérées ?


Les exemples des « enquêtes-intolérance » du Groupe d’Information sur les Prisons dans les années 70 et des Etats généraux de la condition pénitentiaire de l’Observatoire International des Prisons en 2006 montrent à quel point il est difficile pour une association d’œuvrer dans le sens d’une expression des personnes incarcérées, sans la détourner ou l’instrumentaliser.

Côté action en détention. Face au constat de la quasi absence de lieux d’expression en détention, le GENEPI affirme comme l’un des objectifs de ses interventions – directement lié à son objet social d’aide à la réinsertion– la création d’espaces d’expression pour les personnes incarcérées. De nombreuses actions permettent – ayant chacune des forces et des faiblesses propres – l’émergence d’une expression individuelle ou collective : rédaction d’un journal, revues de presse, débats sur des sujets de société (faisant éventuellement intervenir des associations extérieures, des personnels pénitentiaires, …), animation d’une émission de radio, activités d’écriture, …

Côté ISP. Si le GENEPI regrette l’exclusion des personnes incarcérées et anciennement incarcérées du débat public sur les questions pénales et pénitentiaires, il n’a pas vocation à se faire le porte-parole des détenus. Les prises de parole de l’association vers le public se font au nom de notre engagement citoyen, et non de celui des personnes incarcérées. Cela n’empêche évidemment pas le GENEPI de lutter pour que la parole des personnes incarcérées soit considérée comme légitime dans le débat public.

Le GENEPI s’interdit absolument d’instrumentaliser la parole des personnes incarcérées pour appuyer ses propres positions, et réaffirme son engagement à témoigner fidèlement de son expérience, et notamment des propos des personnes incarcérées. Il s’agit de rapporter une parole dont nous sommes les témoins, en parallèle avec l’expression de nos propres prises de position et sans oublier de restituer le contexte carcéral dans lequel elle a été émise. A titre d’exemple, on peut citer une activité de débat en détention sur un sujet de société, en partie filmé. Un débat-miroir à l’extérieur a eu lieu sur le même sujet avec comme point de départ les opinions exprimées devant la caméra par des personnes incarcérées. Les bénévoles ont pu exprimer les positions de l’association parallèlement à ces opinions, sans interférer avec le message ni s’y identifier.

  • Appel à modification des dispositions légales – vers une expression collective des personnes incarcérées ?


Les comités de détenus, une présentation. Un comité de détenus est groupe de discussion regroupant, au moins, des membres de l’administration pénitentiaire et des représentants de détenus. Il vise à institutionnaliser les dialogues informels qui existent nécessairement entre les deux groupes, et permet la formulation légale d’une expression collective des détenus. Ces formes de consultation institutionnalisée de la population carcérale sont présentes sous la forme d’initiatives locales aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, mais constituent une obligation légale au Canada. Le GENEPI réaffirme sa prise de position de 2008 demandant une consécration législative du droit à l’expression collective des personnes incarcérées.

En France, il n’existe aucun cadre légal pour ce type de comités. L’article 29 de la loi pénitentiaire ne parle que d’une « consultation » facultative à propos des activités proposées. De nombreuses difficultés pratiques sont évoquées par le personnel pénitentiaire, particulièrement en maison d’arrêt où la surpopulation et le turn over compliquent la question de représentation de la population carcérale. Cependant, des initiatives locales et des réflexions au sein de l’administration pénitentiaire s’intéressent à l’expression collective des personnes incarcérées, et notamment aux comités de détenus. Le GENEPI encourage la mise en place de tels comités, espaces de dialogue et d’échange entre le personnel pénitentiaire et les personnes incarcérées, susceptibles d’améliorer sensiblement le quotidien de la détention et de lutter contre le caractère infantilisant et excluant de la détention.

Le GENEPI réprouve néanmoins les pratiques qui réduiraient de tels comités à de simples outils de gestion des tensions carcérales, ainsi que toute autre forme de consultation dans laquelle la parole des personnes incarcérées ne vaudrait pas par son contenu et pour elle-même. Il doit s’agir avant tout d’un espace où s’exprime une parole qui est écoutée pour elle-même, et prise en compte dans un dialogue respectueux. Pour cela, la mise en place de tels comités devrait respecter certains principes.

L’idée même de représentant de la population carcérale est problématique car elle suppose d’envisager les personnes incarcérées comme un ensemble assez homogène pour pouvoir faire l’objet d’une représentation. Pour éviter la non-représentation de minorités et favoriser des individus plus enclins à coopérer avec l’administration, certaines directions – par exemple au Royaume-Uni – choisissent eux-mêmes les représentants. Le GENEPI pense qu’il n’est pas souhaitable que l’AP ait un pouvoir de désignation des détenus, sauf éventuellement pour exclure certains individus a priori (par exemple les Détenus particulièrement surveillés). La démocratie représentative doit rester le principe de la sélection des représentants, sans quoi leur parole sera fragilisée voire rejetée par leurs co-détenus. Dans tous les cas, les modalités de sélection des représentants doivent être définies clairement et ne laisser aucune place à l’arbitraire.

Le risque des comités de détenus est de voir s’ajouter aux injonctions qui pèsent déjà sur les personnes incarcérées celle de participer activement et de manière constructive à la vie de la prison, c'est-à-dire à leur propre peine. Le GENEPI pense que la mise en place d’un tel un comité est néfaste si elle est associée à un système individuel de valorisation et de sanction (bonification par rapport à ceux qui refuseraient d’y participer, par exemple par des aménagements de peine).

Le GENEPI regrette que, en l’état des dispositions légales, le contenu de la consultation soit restreint aux seules activités qui sont proposées aux personnes incarcérées en détention. Ces dernières devaient être consultées sur un ensemble large et divers de questions concernant la vie quotidienne en prison. Il ne s’agit pas pour autant de forcer l’opposition entre les personnes incarcérées et l’administration pénitentiaire. Le but d’un comité de détenus est précisément de traiter des questions qui sont susceptibles de faire l’objet d’un consensus. Sinon, le caractère consultatif de l’instance la priverait en grande partie de son intérêt.

Si les comités de détenus permettent à ces derniers de faire porter leur voix aux oreilles de l’administration pénitentiaire, encore faut-il que cette voix importe et pèse dans la prise de décision. Le GENEPI suggère que la direction de l’établissement soit obligée de répondre aux avis émis par le comité, non pas au sens où elle serait obligée de le suivre, mais au sens où elle aurait l’obligation de motiver précisément sa décision en cas de refus. Cette obligation de motivation est encore plus importante lorsque l’administration pénitentiaire refuse de traiter d’un sujet en comité de détenus, notamment au motif du « bon ordre et de la sécurité de l’établissement ».

  • Une voix par-delà les murs – Vers un dépassement du monopole pénitentiaire sur la notion de sécurité


Le GENEPI affirme la nécessité de permettre à l’expression collective des personnes incarcérées de franchir les murs de la prison et de s’affirmer dans les débats publics.

Il ne suffit pas de reconnaître un droit d’expression collective, encore faut-il donner aux détenus les moyens matériels de l’exercer. Les comités de détenus ne suffisent en aucun cas à garantir la liberté d’expression, y compris collective, des personnes incarcérées. Le GENEPI affirme sa conviction de la nécessité de reconnaître et de rendre effectif le droit d’association en détention, notamment en mettant à la disposition des personnes incarcérées des locaux dans lesquels ils puissent se réunir.

Enfin, toutes les dispositions existantes en faveur de l’expression collective des personnes incarcérées sont limitées par les notions de sécurité et de bon ordre, évaluées par l’administration pénitentiaire. Celle-ci se retrouve ainsi en position juge et de partie. Il lui revient de contrôler la diffusion de discours qui sont susceptibles de la mettre en cause dans le débat public et à l’intérieur des établissements pénitentiaires. Pour permettre la parole des personnes incarcérées, il faut donc dépasser le monopole de l’évaluation de la sécurité par l’administration pénitentiaire. Le GENEPI appelle de ses vœux un approfondissement et un élargissement d’un contrôle extérieur, notamment par le juge administratif, de l’arbitrage effectué par l’administration pénitentiaire entre la liberté d’association et d’expression d’une part, l’exigence de sécurité et de bon ordre de l’autre part. La censure d’une forme d’expression au nom de la sécurité doit être systématiquement motivée, afin que les personnes incarcérées puissent former un recours devant un juge administratif. Cela suppose aussi que les décisions de rétention du courrier d’une personne incarcérées (vers un proche, un journal, un parti politique, …) soient également motivées et puissent également faire l’objet d’un recours.

Tout sujet devrait alors, à l’intérieur de la détention, pouvoir faire l’objet soit d’une discussion avec le personnel pénitentiaire, soit – dans le cas d’un refus ou d’un échec de la discussion – d’un recours devant une autorité tierce, notamment le juge administratif. Le même principe s’appliquerait à la communication de formes diverses d’expression avec l’extérieur.

Rédigé par GENEPI Nancy

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article